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Et Poutine envahit l’Ukraine… En route vers le monde d’après ?

Publié le
22 mars 2022
Temps de lecture
4 minute(s) de lecture

Frédéric Leroux, membre du comité d’investissement stratégique de Carmignac, explique les conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine pour les investisseurs.

Que retenez-vous du mois qui vient de s’écouler ?

Frédéric Leroux: Comme tout le monde, l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cet événement majeur aux implications humanitaires d’abord et économiques ensuite a pris de court l’immense majorité des commentateurs occidentaux et les gérants que nous sommes.

Quels furent les impacts de cette invasion sur les marchés financiers ?

F.L.: Les titres de dette russe ont presqu’immédiatement perdu entre 60 % et 80 % de leur valeur. Simultanément, les actions russes cotées en Grande-Bretagne – le plus souvent des banques ou des producteurs de pétrole ou d’autres matières premières industrielles - ont abandonné de 92 % à 99 % de leur valeur entre le 16 février et le 1er mars, veille de la suspension des cotations en Bourse. En parallèle, les prix du gaz étaient momentanément multipliés par deux et demi en Europe alors que les cours du pétrole progressaient de 55 %.

Et pour Carmignac ?

F.L.: Cette invasion est survenue alors que nos fonds obligataires portaient de la dette russe à concurrence d’un pourcentage réduit mais impactant. Réduit compte tenu des bons fondamentaux de la dette russe avant son entrée dans cette guerre inattendue et impactant compte tenu des effets des sanctions décidées par les Occidentaux à l’encontre de la Russie. La valorisation de certains de nos fonds s’en est ressentie.

Comment expliquez-vous une telle réaction des marchés financiers ?

F.L.: Deux facteurs distincts permettent de l’expliquer. Le premier est bien sûr celui des sanctions imposées à la Russie par le monde occidental, parmi lesquelles l’embargo sur les achats de pétrole et de gaz russes par les Américains et les Britanniques ; le bannissement de certaines banques du système de règlements internationaux SWIFT, interdisant les exclus de se faire payer leurs ventes ; ou encore le gel des actifs de la banque centrale russe à l’étranger.

Les autorités russes ont, elles aussi, pris des mesures de rétorsion en réponse…

F.L.: Exactement ! Les entreprises russes ne pourraient bientôt plus rembourser leurs emprunts en devises étrangères et certaines matières premières pourraient ne plus être exportables contribuant potentiellement à de nouveaux goulets d’étranglement dans les chaînes de production mondiales.

Sanctions et mesures de rétorsion risquent d’avoir de fortes répercussions économiques…

F.L.: Les sanctions, économiquement très lourdes, sont de nature à rendre rapidement exsangue l’économie russe mais leurs effets directs et les mesures de rétorsion qui leur répondent vont aussi affecter le reste du monde en accélérant les tendances observées avant le conflit : inflation et ralentissement économique.

Et quel est le second facteur d’explication de cette vive réaction boursière ?

F.L.: Le second facteur de cet ajustement violent du prix des actifs russes et de l’énergie fossile est celui de l’engagement de la Finance mondiale en faveur de considérations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Un tel engagement vise à favoriser le financement du développement durable. Dans le contexte de l’invasion russe, une société de gestion engagée, comme la nôtre, dans une telle démarche ne saurait continuer à investir en Russie comme si rien ne s’était passé.

Difficile en effet d’investir dans des actions russes ou de financer l’Etat russe dans ces conditions…

F.L.: Chez Carmignac, nous avons pris la décision de nous interdire, jusqu’à nouvel ordre, tout achat de titres russes. Partagée par de nombreux autres investisseurs, cette décision a contribué à amplifier la dépréciation des cours des titres russes, bien au-delà de ce qu’auraient justifié les seules sanctions économiques. Cela illustre aussi les nouvelles aspirations de la société : l’envie d’une économie plus « morale » repoussant au second plan l’exigence d’efficacité économique immédiate.

A vous écouter, il semble que les conséquences pour l’économie mondiale puissent être très lourdes…

F.L.: Les effets de ce conflit et les décisions qui en découlent peuvent d’ores et déjà être perçus comme potentiellement dévastateurs pour l’ensemble de l’économie mondiale. Cela aura peut-être la vertu de conduire plus rapidement que prévu vers une solution négociée à la fin du conflit…

L’inflation était au cœur des préoccupations avant cette guerre. Qu’en est-il désormais ?

F.L.: Elle l’est plus que jamais. Les mesures qui ont été prises ou annoncées pourraient contribuer à installer l’inflation dans notre quotidien en en multipliant les sources. Accélération de la transition énergétique, augmentation des budgets d’armement, redéfinition des itinéraires d’approvisionnement énergétique, relocalisation des productions sont en effet autant de décisions qui nourriront l’inflation durant des années avant de produire quelque forme d’efficacité économique. En ce sens, ce conflit pourrait initier un nouvel ordre économique.

Que voulez-vous dire ?

F.L.: Après quarante années marquées par le ralentissement de la hausse des prix, fondé sur une puissante intégration économique globale et une démographie vertueuse, un nouvel environnement pourrait voir le jour. Un nouvel ordre économique marqué par une forme de repli sur soi économique, une « dé-intégration » visant à favoriser l’indépendance industrielle et énergétique dont la pandémie et les tensions géopolitiques actuelles auront révélé avec force la nécessité.

Quelles pourraient en être les conséquences ?

F.L.: Ce renversement vers davantage d’inflation redonnerait un lustre longtemps oublié aux secteurs de l’ancienne économie pourvu que les contraintes multiples à leur réimplantation soient réexaminées avec rationalité. Les avancées technologiques en cours devraient faciliter ce retour partiel au monde d’avant en promettant de lui conférer à terme une efficacité redoutable. C’est peut-être cela le « monde d’après ».

Sources : Carmignac, Bloomberg, 10/03/2022

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